Métachronique

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dimanche 5 janvier 2020

Ce qu'il me reste... de mots. (Part. 2)

Il me reste d'autres lectures, qui ont mordu à pleines dents dans 2019 et dans mon âme :

Brexit Romance de Clémentine Beauvais

Dans une Angleterre fraîchement touchée par le Brexit, Justine crée la start-up secrète « Brexit Romance » qui organise des mariages blancs entre Français et Anglais, pour que ces derniers puissent obtenir le passeport européen. Des sentiments ? Pas la peine ! Mais parfois, même quand on ne l’attend pas, l’amour s’en mêle…

L’écriture met du temps à se déployer, mais sans qu’on s’en aperçoive elle est là, ample et riche, délicate. Clémentine Beauvais maîtrise la langue à tous les temps, comme elle l’avait prouvé avec « Songe à la douceur ». Celle du présent, d’une génération qui la malmène ; aussi bien que celle d’avant, celle qui caresse les yeux de fantaisie, d’exceptions, de plus-que-parfait du subjonctif. Celle qui régale, gourmande et pleine face à celle qui irrite, insolente et spontanée. Politique et poétique, Brexit Romance c’est aussi cet Eurostar entre les mots, l’anglais qui fonce dans le français à toute vitesse, deux langages engagés dans un jeu de séduction, de chat et de souris qui se découvrent, s’apprivoisent, se grignotent affectueusement sur 450 pages.

La jeune auteure réussit un mariage pluvieux - et donc heureux - entre deux pays, entre deux cultures, deux classes sociales, deux plumes, deux langues, entre toutes ces choses que tout oppose.

Les romances pleurent sur l’Angleterre, les larmes pleuvent sur mes joues, parce que c’est beau, parce que les mots sont forts. Parce que les sentiments arrivent, coûte que coûte et qu’on ne peut rien faire face au fracas des battements du cœur. Bon, par contre, ils meurent tous à la fin ;)


Fief de David Lopez

David Lopez nous invite dans un microcosme où éclate la testostérone, où gicle le rhum bon marché, où se consument les joints et le temps... Le fief, c'est ce trou d'ennui comblé par le shit, les cartes et la tise, par des grandes théories qui finissent en éclats de rire. C'est ce trou de rien où l'on se bat avec les potes et puis avec la vie, d'où on ne peut sortir à cause des gants de boxe qui entourent les mains et qui font lâcher prise. Un huis-clos enfumé et sans avenir où l'on cendre ses jours.

Fief, c'est écrit comme on travaille au corps, avec la langue au bout des bras, celle qu'on ne peut esquiver, qu'on prend en pleine poire, qui cogne et qui excite. La langue des petites frappes mais aussi celle des uppercuts, quand la vérité nous étourdit. C'est le lisse du gant qui s'écrase contre les plis de l'humain. C'est une plume qui connait son lecteur et sait surprendre en se glissant là où il ne l'attend pas. Fief c'est écrit comme un bon cunni, celui qui prend son temps, qui s'égare, décomplexé qui amuse, ou bouillant qui te rétame. C'est la langue qui se faufile, joue, sait se faire vulgaire - petite chienne - et précise, artiste l'instant d'après. Celle qui touche à la fin de l'envoi. Au cœur.

Zénith-Hôtel d'Oscar Coop-Phane

"Non, ne vous en débarrassez pas. Vivez avec, partez en mobylette et caressez-la parfois cette mélancolie acide qui vous gratte l'estomac. Il faut la chérir pour qu'elle ne vous dévore pas ; il faut lui donner ce que vous avez de plus sincère dans les entrailles. Ca ne passera pas ; tout au long de votre vie il y aura cette plaie béante au milieu de votre cœur ; ne vous en faites pas, il ne va pas s'arrêter de taper."

Les pages sont lisses, douces comme la peau sous le sein. Les mots glissent, naturels, ils palpitent, pénètrent le cœur. Ça sent le Ricard et le formica, c'est beau tant c'est banal. Poésie de l'ordinaire. C'est un petit roman comme un journal écrit à plusieurs mains, journal de passe.


Arcadie d'Emmanuelle Bayamack-Tam

Farah vit avec ses parents en zone blanche à la frontière italienne. Au sein de cette communauté de marginaux, libertaires, on vit au plus proche de la nature, d’amour et d’eau fraîche, littéralement. La jeune Farah n’a d’yeux que pour Arcady, le fondateur de cet Eden, un homme charismatique à tendance gourou...

La plume incroyable d’Emmanuelle Bayamack-Tam virevolte entre les beaux mots et l’argot, entre l’écrit et le parlé et nous offre un grand moment de littérature, traitant de sujets tous aussi brûlants les uns que les autres : la vie en communauté, les migrants et par-dessus tout l’amour, celui avec un grand A, celui des hommes, des femmes et des autres. "Je n'ai jamais bien su ce qui distinguait l'amour de l'anéantissement."


Le discours de Fabrice Caro

Adrien a la quarantaine. Aujourd’hui, il a envoyé un sms à son ex et il a mis un point d’exclamation à la fin de «bisou». Du coup il s’en veut et, surtout, il attend une réponse. Alors qu’il subit plus qu’il n’assiste à une réunion de famille des plus habituelles, son beau-frère lui demande de préparer un discours pour le mariage... Entre cette réponse qui ne vient pas et qui l’obsède, la cigarette qu’il rêve de fumer et les idées de discours toutes plus délirantes les unes que les autres, Adrien n’a plus franchement la tête au gratin dauphinois...
Si on l’aime déjà pour ses BD absurdes et décapantes, Fabcaro - ici auteur - nous régale de digressions folles et vise en plein dans le mille, en plein dans nos déviances, dans ces imperfections qui font de nous des êtres humains...

La Révolte de Clara Dupont-Monod

Elle a fait fondre mes convictions, Clara, elle m'a retourné l'envie avec des belles phrases, elle m'a passionnée par son héroïne plus vraie que nature, par cette figure historique charismatique et bouleversante. Elle m'a touchée, Clara, là où je ne m'y attendais pas : dans la biographie (romanesque) d'Aliénor, dans un récit moyenâgeux sur une époque que je vomis. Alors merci, Clara, merci. 

"Ma mère m'a toujours dit que, à défaut de pouvoir régner comme elles l'entendent, 
les femmes pouvaient prendre le pouvoir par l'écriture."


Et bien sûr :

La nuit, je mens de Cathy Galliègue
Né d'aucune femme de Franck Bouysse
Un poisson sur la Lune de David Vann

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