J’écrirai la critique d’On the
road lorsque j’aurais enfin lu cet énigmatique roman, celui qui, aujourd’hui
comme autrefois, fait couler beaucoup d’encre et densifie les flots de parole.
J’écrirai la critique De rouille et d’os lorsque j’aurais lu les nouvelles,
parce qu’une adaptation cinématographiquen’est bonne que si elle renouvelle.
Comme Tom Ford a fait d’A Single
Man un chef d’œuvre esthétique, une sublime et fragile peinture d’un homme au
bord de sa vie, j’attends d’Audiard et de Salles la même audace, le même
engagement, le même désir de création. J’ai vu les deux films, les deux m’ont
plu avec une certaine retenue, celle d’une apparente facilité cinématographique
(« Sing your own songs ! »), celle de traiter une histoire déjà vue (de
rouille et d’os fait largement écho à la rencontre impitoyable du handicap
physique avec le handicap social, déjà traitée avec un humour décapant dans
Intouchables).
J’écrirais la critique de
Cosmopolis aussi. Mais avant je dévore les dernières pages de la Chambre
Obscure de Nabokov, où l’esquisse d’une certaine Lolita pointe le bout du nez.
Là elle est Magda, jeune fille à la fois insouciante et manipulatrice, capable
de la plus grande bêtise comme d’une malice perverse. Elle détruit pièce par
pièce la vie trop bien rangée d’un homme sans courage, rêvant d’un peu de
désordre grisant.
Mary & Max est un
poème cynique en pâte à modeler. Mary est une enfant seule d’Australie, elle
n’est pas très jolie, risée de ses camarades. Tandis que sa mère se noie dans
le sherry et que son père se tue à l’usine, elle entretient une singulière
correspondance avec un vieil homme de New York, Max. Max aime le chocolat, mais
n’aime pas les gens. Cependant, sa misanthropie n’est due qu’à la cruauté
humaine, au contresens du monde. Il est le Candide de Voltaire à la naïveté
plus rude.
Mary & Max est un très beau
film qui, sous son apparente simplicité, soulève les thèmes profonds de la
solitude, du suicide, avec un humour noir, abrasif, grave.
« Je ne comprends pas
comment le fait d’être honnête peut-être déplacé »
Anna emménage seule avec son
jeune fils Anders, poursuivie par la crainte paranoïaque du retour de son
ex-mari. Pour surveiller au mieux son enfant, Anna achète un babyphone pour
calmer les nuits insomniaques. Mais elle entend bientôt, sur une autre
fréquence, d’inquiétants cris d’enfant.
Noomi Rapace est incroyable en
mère paumée et surprotectrice. Elle porte à elle seule le scénario de ses bras
fragiles, elle illumine ce film à l’inquiétante atmosphère, d’un genre tout
particulier, oscillant entre le drame étrange et l’effroi.
Si Babycall tend parfois vers la
longueur ou la répétition, il est pourtant une très belle réalisation et filme habilement
les invisibles déviances du réel vers l’imaginaire. Le suspense est bien
tenu ; l’image froide, bleutée, appuie le doute, la déroute des
personnages et des spectateurs.
Laura, rêvant de paillettes, de
pop et de billets verts, s’inscrit avec une amie à un concours de miss. Mais en
une nuit, tout chavire et Laura se retrouve otage d’un réseau de
narcotraficants adeptes de la gâchette.
Miss Balaest le silence violent
d’une esclave à la jeunesse flinguée. Il est criant de réalisme, peinture
sanglante des cartels mexicains et leurs méthodes barbares, de leurs cœurs,
leurs âmes perdus. Mais le mutisme de Laura est pesant, sa douleur
insaisissable et le film se transforme progressivement en un très bon
documentaire, mais s’éloigne de l’œuvre de cinéma, de la fiction, de l’émotion.
Vous étiez prévenus, vous ne
verrez pas ce à quoi vous vous attendiez. La cabane dans les bois passe du film
d’horreur classique à un délire surprenant. Le film mord franchement dans le
fantastique, tout en giclées de sang horrifiques. Les codes, les clichés sont
mis à mal avec une volonté de sortir poliment d’un moule qui aurait trop servi.
Ils y sont tous, pourtant : la blonde allumeuse, le sportif populaire, la
vierge intello, l’érudit en manque et le drogué anticonformiste. Cinq
marionnettes rebelles d’un rite spectaculaire et finement structuré, cinq
figurants indociles voulant en découdre d’un scénario de fil blanc.
Avalanche de blagues scatophiles
et de situations scabreuses, nos cinq puceaux sont de retour !
Cinématographiquement sans
intérêt, le film réconcilie pourtant avec la série des American pie, avec
toujours plus de bite en cuisine et de références au passé. Moralement vide, le
film amuse pourtant les plus réticents d’entre nous, parcourant nos vices les
plus enfouis, les plus secrets. Alors évidemment, American pie 4 est lourd,
gras, stupide et puéril, mais c’est tout ce qu’on lui demande.
Comédie modeste sur trois hommes ne faisant qu'un, sur trois générations de coeurs en vrac. Sea, no sex and sun est une gentillesse agréable, portée par des acteurs très vrais, entiers. Le film est servi par un humour discret et touchant.
Sea, no sex and sun est un film simple, qui fait du bien.
J'ai lu Richard Yates de Tao Lin comme on regarde un film, avec la même sensation cinématographique, bercée de mêmes émotions fortes, visualisant chacun des personnages avec une précision déconcertante.
Dakota Fanning parle avec Haley Joel Osment sur le chat Gmail. Ils vont se rencontrer et vivre main dans la main leur solitude 2.0. Dépossédés de prénoms réels, cachés sous des pseudonymes infantiles, les deux héros de ce roman singulier prennent soin l'un de l'autre, cruellement. La plume furieuse de l'auteur, répétitive, aux abords absurdes, écrit l'histoire profonde de deux êtres en marges. Richard Yates est un livre d'émotion, bouleversant et identificateur. Il pose à voix haute les thèmes de la culpabilité, de tous ces petits gestes que l'on fait pour l'autre et qui tombent finalement dans l'oubli ou passent à côté de son attention. Richard Yates doit être lu jusqu'à la dernière ligne car son intensité grandit au fil des pages, on apprivoise l'écriture étrange et sauvage de son auteur. On s'habitue aux personnages complexes de Dakota et Haley Joel et l'on rit de tout son corps à l'humour délicat de démence qui parfait leurs dialogues.
Extrait :
Haley Joel Osment a demandé si les fourmi légionnaires pouvaient manger un requin.
"Seulement s'il échoue sur le rivage. Elles savent pas nager.
-Est ce qu'elles peuvent manger Bruce Lee, a dit Haley Joel Osment.
-S'il se débat pas, oui, a dit Dakota Fanning.
-S'il fait que des roulades avant, dans une zone délimitée.
-Oui, dans ce cas. Je pense qu'elles pourraient le manger. La plus grosse colonie jamais rapportée faisait vingt millions de fourmis. Vingt millions de fourmis pourraient tuer Bruce Lee je pense.
-Je crois pas, a dit Haley Joel Osment. Une roulade avant peut tuer deux mille fourmis. Donc il a qu'à faire deux cent mille roulades avant je pense.
-Il serait trop affaibli par la douleur. Deux cent mille roulades c'est beaucoup, même pour Bruce Lee.
-Il peut en faire une à la seconde, a dit Haley Joel Osment.
-Au début peut-être mais plus la douleur augmentera plus il ralentira je pense. Elles peuvent grimper jusque dans ses oreilles et commencer à lui détruire le cerveau aussi. Les roulades peuvent pas empêcher les fourmis d'accéder à son cerveau.
-Bruce Lee peut plier les oreilles pour broyer les fourmis. Est ce que t'as vu le film sur la vie de Bruce Lee.