C’est un hymne à la musique,
l’éloge léchée de ces sons qui font nos vies, qui font battre nos cœurs et
bondir nos souvenirs. Café de Flore est le chassé-croisé de deux époques
traversées par un même air, de deux pays aux âmes jumelles. Café de flore
raconte la douleur d’une mère qui ne peut laisser s’envoler son garçon amoureux
et d’une ex-femme qui ne sait voir partir son seul amour avec une jolie rose.
Café de Flore est un poème sexy,
aux dialogues dénudés, sensibles, écrits sur des peaux lactées, frôlées par la
fraîcheur québécoise.
Epris du son, Vallée l’enlace, le
fait virevolter, doux, survolté, il le travaille au corps jusqu’à l’eargasm. Le film est un long mix, monté par un DJ
talentueux, un DJ jouant des images comme d’un orchestre. Vallée est la
baguette magique qui transforme le film en œuvre.
Le cinéma d’Andrea Arnold est
franc et sensible. Après le bouleversant Fish Tank, elle adapte le classique
des Hauts de Hurlevent, le traîne dans la boue et nous livre cette romance
crasseuse et bestiale dans une longue caresse, nous plonge dans une tension
amoureuse et charnelle. Arnold fait parler ses images, fait crier les regards,
et ce film contemplatif en dit long avec si peu de dialogues. Le travail du son
est remarquable, un chant fébrile remplace la musique, les respirations de
l’humain et de la nature soufflent sur cet amour suffocant. Le parti pris
esthétique est bouleversant. Gros plans des mèches battant la nuque terreuse de
Catherine, une main d’ébène longeant le flanc blanc nuageux d’un cheval au pas.
Fort d’une puissance
contemplative, Wuthering Heightssouffre pourtant de cette histoire d’amour
lassante et voyeuse, de cette passion lamentable et destructrice. Les
personnages sont mal vieillis, la jeune Catherine, Shannon Beer, aux paumettes
saillantes et aux petits yeux malicieux s’anorexise en Kaya Scodelario,
squelette au nez retroussé. Mais étrangement, nous sommes pris dans cette
romance gadoueuse, entraînés par la puissance des sentiments exprimés et les
points de vue adoptés.
Laissez la rosée se poser sur vos
yeux fatigués, et savourez l’éclosion de cette réalisatrice audacieuse. Entrez
avec patience dans ce film brumeux, traitez avec délicatesse cet objet
cinématographique sensible, laissez-vous porter par les vents hurlants de cette
plaine humide.
Skins, peinture d’une génération aux
personnages-étiquettes, qui ne savent se définir autrement que par la
caricature. Skins fait dans le trash frimeur, drogue et rébellion, chaque
saison a son lot de gays, d’amoureux populaires, de fous, d’étrangers bariolés,
d’introvertis, de junkies ou de fils à papa.
Le concept était séduisant :
toutes les deux saisons, la génération suivante prend le relais. Mais tous ces
caractères antipathiques et égoïstes, toute cette peinture baveuse de la
jeunesse est à vomir de bêtise. Plus les saisons passent, plus c’en est
mauvais. Qu’ils ressuscitent Chris ou qu’ils mettent un terme à cette orgie
immature.
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Misfits possède tout ce qu’il manquait à Skins : un
scénariste. Une plume capable d’écrire un discours final aussi délirant et
juste que celui de Nathan, capable d’inventer des dialogues insolites et des
situations improbables. Misfits sait se renouveler, dénicher des perles anglaises
pour briller à chaque saison. Tous les acteurs incarnent leur rôle avec force,
ils sont frais, ils sont juste excellents. En plus de leur humour cynique, de
leurs réparties cinglantes balancées avec un accent anglais délicieux, chaque
petit héros en combinaison orange est sympathique. Contrairement à Skins, où
tous sont plus haïssables les uns que les autres, ici on s’attache, on se lie à
eux parce que, malgré leurs pouvoirs insensés, ils sont humains, sincères.
Il est judicieux de n’avoir pas
utilisé ces pouvoirs comme un point central de la série, mais plutôt de les
avoir intégrés comme des tares, des handicaps, ou bien comme une routine, et de
s’en moquer avec finesse.
Le dernier épisode de la saison 4
semble pourtant à bout de souffle. Et même si rien ne peut égaler l’inoubliable envolée de Nathan sur le toit du monde, ni les meurtres lactés, un petit effort
scénaristique aurait pu redorer l’image de Misfits auprès des fans déçus.
Anna Karenine est un spectacle
minutieusement découpé, une valse d’images, où chaque temps est une surprise
visuelle. Le film s’ouvre sur un théâtre et s’étend sur une scène mouvante, les
décors s’abattent. Tous les personnages se frôlent, s’évitent, s’épient au
travers de rideaux, entre deux pans et quelques cordes. Cinéma virevoltant et
créatif, c’est un Moulin Rouge qui déchante, où chaque pas, chaque mouvement
est une danse. Mais plus le film avance, plus il quitte la scène et ses
machineries. Les décors se font plus vrais et vastes, palpables, et le rythme
se perd dans les grandes étendues. On reçoit alors, en claque violente, le jeu
trop moyen des acteurs jusqu’ici dissimulé sous une réalisation efficace.
Dans toute la lourdeur de cette
grosse blague nostalgique, on rit parfois aux moments absurdes d’un humour
oublié, mais quand le duo surenchérit à ses propres vannes, l’enclume nous
assomme. Ils sont leurs propres assassins et à eux seuls, ils ont flingué leur
grand retour.
"J'suis sûr que ton père,
quand il t'a vu à la naissance,
il a cru que ta mère, elle avait couché avec...
un hachis-parmentier!"
Cogan c’est Drive, mais moins
hype, moins muet, moins vide.
Cogan donne une véritable leçon
technique de cinéma. Les scènes de violences sont magnifiques, un rude
ballet de sang sur fond de soul. Pleuvent des dialogues tarantinesques, écrits
d’une plume de génie, que s’envoient des acteurs sombres, désabusés. Sans
parler du montage parfait et de la bande originale savoureusement idéale. Dominik
est un cinéaste.
La reine s’envoie en l’air dans
l’adultère, bouquine de la lumière à l’ombre des regards tandis que le fou son
Roi court dans les prés, les cheveux au vent et fait résonner son rire grinçant
dans le bureau du Conseil. Pendant ce temps, un médecin devient Roi et rêve de
liberté.
Royal Affair est trop classique
et c’est là son seul défaut. Ce volet de l’histoire danoise est tellement
délicieux, les acteurs qui le jouent sont si envoûtants, qu’il ne manque plus
au film qu’un rythme effréné, qu’une explosion du romantisme, restés tapis sous
d’épais costumes d’époque.