Métachronique

Métachronique

mercredi 8 janvier 2020

Ce qu'il me reste... de son.

Un bon album vaut mille playlists... Mais ils se font rares, ces joyaux sonores, ces œuvres inédites qui transportent, transcendent, bouleversent de bout en bout. Voici ceux qui, en 2019, ont accompagné mes trajets, mes peines, lectures, broderies et soirées.

Ann O'Aro, un maloya trempé
Roseaux II, de la musique d'amoureux de -
Puts Marie, giclées et envolées
Scylla & Sofiane Pamart, des mots sur un piano
Ala.ni, un acca-pella superbe
Tamino, moments suspendus
Billie Eilish, brisures en éclats de beau
Batlik, l'art de la défaite 
Patrick Watson, vagues d'émotions
FKA Twigs, un retour divin
Veence Hanao & Le Motel, inévitable

Mais puisque la musique vaut mille mots, je vous propose quand-même une petite playlist de ces instants musicaux qui ont fait mon année ! Alors cliquez juste là > ICI <

dimanche 5 janvier 2020

Ce qu'il me reste... de mots. (Part. 2)

Il me reste d'autres lectures, qui ont mordu à pleines dents dans 2019 et dans mon âme :

Brexit Romance de Clémentine Beauvais

Dans une Angleterre fraîchement touchée par le Brexit, Justine crée la start-up secrète « Brexit Romance » qui organise des mariages blancs entre Français et Anglais, pour que ces derniers puissent obtenir le passeport européen. Des sentiments ? Pas la peine ! Mais parfois, même quand on ne l’attend pas, l’amour s’en mêle…

L’écriture met du temps à se déployer, mais sans qu’on s’en aperçoive elle est là, ample et riche, délicate. Clémentine Beauvais maîtrise la langue à tous les temps, comme elle l’avait prouvé avec « Songe à la douceur ». Celle du présent, d’une génération qui la malmène ; aussi bien que celle d’avant, celle qui caresse les yeux de fantaisie, d’exceptions, de plus-que-parfait du subjonctif. Celle qui régale, gourmande et pleine face à celle qui irrite, insolente et spontanée. Politique et poétique, Brexit Romance c’est aussi cet Eurostar entre les mots, l’anglais qui fonce dans le français à toute vitesse, deux langages engagés dans un jeu de séduction, de chat et de souris qui se découvrent, s’apprivoisent, se grignotent affectueusement sur 450 pages.

La jeune auteure réussit un mariage pluvieux - et donc heureux - entre deux pays, entre deux cultures, deux classes sociales, deux plumes, deux langues, entre toutes ces choses que tout oppose.

Les romances pleurent sur l’Angleterre, les larmes pleuvent sur mes joues, parce que c’est beau, parce que les mots sont forts. Parce que les sentiments arrivent, coûte que coûte et qu’on ne peut rien faire face au fracas des battements du cœur. Bon, par contre, ils meurent tous à la fin ;)


Fief de David Lopez

David Lopez nous invite dans un microcosme où éclate la testostérone, où gicle le rhum bon marché, où se consument les joints et le temps... Le fief, c'est ce trou d'ennui comblé par le shit, les cartes et la tise, par des grandes théories qui finissent en éclats de rire. C'est ce trou de rien où l'on se bat avec les potes et puis avec la vie, d'où on ne peut sortir à cause des gants de boxe qui entourent les mains et qui font lâcher prise. Un huis-clos enfumé et sans avenir où l'on cendre ses jours.

Fief, c'est écrit comme on travaille au corps, avec la langue au bout des bras, celle qu'on ne peut esquiver, qu'on prend en pleine poire, qui cogne et qui excite. La langue des petites frappes mais aussi celle des uppercuts, quand la vérité nous étourdit. C'est le lisse du gant qui s'écrase contre les plis de l'humain. C'est une plume qui connait son lecteur et sait surprendre en se glissant là où il ne l'attend pas. Fief c'est écrit comme un bon cunni, celui qui prend son temps, qui s'égare, décomplexé qui amuse, ou bouillant qui te rétame. C'est la langue qui se faufile, joue, sait se faire vulgaire - petite chienne - et précise, artiste l'instant d'après. Celle qui touche à la fin de l'envoi. Au cœur.

Zénith-Hôtel d'Oscar Coop-Phane

"Non, ne vous en débarrassez pas. Vivez avec, partez en mobylette et caressez-la parfois cette mélancolie acide qui vous gratte l'estomac. Il faut la chérir pour qu'elle ne vous dévore pas ; il faut lui donner ce que vous avez de plus sincère dans les entrailles. Ca ne passera pas ; tout au long de votre vie il y aura cette plaie béante au milieu de votre cœur ; ne vous en faites pas, il ne va pas s'arrêter de taper."

Les pages sont lisses, douces comme la peau sous le sein. Les mots glissent, naturels, ils palpitent, pénètrent le cœur. Ça sent le Ricard et le formica, c'est beau tant c'est banal. Poésie de l'ordinaire. C'est un petit roman comme un journal écrit à plusieurs mains, journal de passe.


Arcadie d'Emmanuelle Bayamack-Tam

Farah vit avec ses parents en zone blanche à la frontière italienne. Au sein de cette communauté de marginaux, libertaires, on vit au plus proche de la nature, d’amour et d’eau fraîche, littéralement. La jeune Farah n’a d’yeux que pour Arcady, le fondateur de cet Eden, un homme charismatique à tendance gourou...

La plume incroyable d’Emmanuelle Bayamack-Tam virevolte entre les beaux mots et l’argot, entre l’écrit et le parlé et nous offre un grand moment de littérature, traitant de sujets tous aussi brûlants les uns que les autres : la vie en communauté, les migrants et par-dessus tout l’amour, celui avec un grand A, celui des hommes, des femmes et des autres. "Je n'ai jamais bien su ce qui distinguait l'amour de l'anéantissement."


Le discours de Fabrice Caro

Adrien a la quarantaine. Aujourd’hui, il a envoyé un sms à son ex et il a mis un point d’exclamation à la fin de «bisou». Du coup il s’en veut et, surtout, il attend une réponse. Alors qu’il subit plus qu’il n’assiste à une réunion de famille des plus habituelles, son beau-frère lui demande de préparer un discours pour le mariage... Entre cette réponse qui ne vient pas et qui l’obsède, la cigarette qu’il rêve de fumer et les idées de discours toutes plus délirantes les unes que les autres, Adrien n’a plus franchement la tête au gratin dauphinois...
Si on l’aime déjà pour ses BD absurdes et décapantes, Fabcaro - ici auteur - nous régale de digressions folles et vise en plein dans le mille, en plein dans nos déviances, dans ces imperfections qui font de nous des êtres humains...

La Révolte de Clara Dupont-Monod

Elle a fait fondre mes convictions, Clara, elle m'a retourné l'envie avec des belles phrases, elle m'a passionnée par son héroïne plus vraie que nature, par cette figure historique charismatique et bouleversante. Elle m'a touchée, Clara, là où je ne m'y attendais pas : dans la biographie (romanesque) d'Aliénor, dans un récit moyenâgeux sur une époque que je vomis. Alors merci, Clara, merci. 

"Ma mère m'a toujours dit que, à défaut de pouvoir régner comme elles l'entendent, 
les femmes pouvaient prendre le pouvoir par l'écriture."


Et bien sûr :

La nuit, je mens de Cathy Galliègue
Né d'aucune femme de Franck Bouysse
Un poisson sur la Lune de David Vann

Ce qu'il me reste... de mots. (Part. 1)

Peut-être qu'on devrait arrêter. De regarder en arrière, de vivre dans le passé... Mais l'art, parfois, s'inscrit si fort en nous et dans le temps ! Alors que reste-t-il en moi de 2019 ?

Il reste une rentrée littéraire puissante et aux plumes incroyables :

77 de Marin Fouqué
Une bête au paradis de Céline Coulon

Digérer. Laisser se répandre en soi deux petits chocs littéraires. Ils disent la terre, crient l’humain abîmé, chacun à sa façon. L’un - Marin Fouqué - au rythme tendu, fait grouiller les mots, gicler des souvenirs sur un abribus, creuse les personnages et les âmes de son style. Ce style ! Des sillons profonds qui laissent entrevoir le dedans, les pensées, le passé. L’autre - Céline Coulon - nous entraîne de bonheur sucré en tragédie boueuse, avec une plume simple et juste. Elle écrit le sol, les racines qui nous traversent ou qu’arrache un virage dangereux. Elle écrit l’amour, le contrarié, le contrariant, indéfectible et infini. Elle enrobe la bouse de beaux mots, d’images fortes.

Cicatriser. Laisser la plaie à vif, qu’elle brûle, pique, palpite encore après le coup. Garder sur soi la mémoire de ces lectures uniques, d’une introduction vive et démente, effrénée, de portraits enlacés dans la terre ou la pierre, de lieux qui nous définissent, nous forment, nous animent, nous avalent ou nous crachent. Du sud 77 au Paradis.

Sœur d'Abel Quentin

Sœur est un mash-up littéraire. C'est Harry Potter en hijab sang et or, c'est un sujet tabou glissé entre le fromage et le dessert, le djihad qui s'invite à la table des ploucs, c'est un slow tendre entre la langue maladroite des jeunes et celle d'un écrivain.
Sœur c'est la foi, celle que l'on perd, celle que l'on découvre, qui s'insinue, qui éclate, éclabousse.
C'est une bombe, de celles qui explosent au milieu de l'océan alors qu'elles pourraient dézinguer le monde. Avec la force de ce qu'il y a de plus grand, de plus divin : la littérature.


Parce que les tatouages sont notre histoire
 d'Héloïse Guay de Bellissen

« Se tatouer c’est aussi profond, même lorsque cela devient une erreur de jeunesse, que d’entamer l’écriture d’un livre. Les deux sont intimes, c’est à l’intérieur et ça doit se terminer en dehors. »

C’est un roman d’histoire : l’histoire du tatouage, des Maoris à Edison ; mais aussi l’histoire intime de nos corps, entre anecdotes, journal et confessions, et puis une histoire d’amour, pour cet art avec lequel on ne fait qu’un.
Ouvrage littéraire inclassable, « Parce que les tatouages sont notre histoire » est un hommage romanesque au tatouage en tout genre, de Johnny à Staline, au tatouage de mémoire, au tatouage artistique, au tatouage qu’on aurait pas dû, au premier d’une longue série, aux prémices d’une addiction. Un livre qui donne envie de s’écrire…


Sale gosse de Mathieu Palain


Ce phrasé qui sonne vrai, les mots de la vie qui vrille, les dialogues du bitume et de la castagne, la répartie délinquante et délicieuse, la réalité de gens comme il en existe tant. C'est tout ça qu'écrit Mathieu Palain dans son roman qui n'en est presque pas un. Il écrit les sales gosses, les aimés de travers, ceux que la société recrache parce qu'ils ne sont pas digestes, avec leur langue et leurs âmes torturées. Il écrit ceux qui sont passés par là, ceux qui s'en sortent et ceux qui tombent, ceux qui les ratrappent, ceux qui donnent une seconde chance. Il écrit avec une plume qui s'envole de la terre, d'un sol boueux et froid, pour finir virevoltante, dans les airs, puissante et belle.


Maintenant, comme avant de Juliette Arnaud


Grâce à Juliette Arnaud, j'ai lu Viv Albertine, dévoré une vie de musique, j'ai lu Graham Swift et sa page 91, j'ai rendu ma pile à lire encore plus haute que la plus haute de tes piles à lire. Juliette Arnaud c'est ce presque homonyme qui parle de bouquins comme jamais personne ne t'en parlera ; c'est la passion des mots, des histoires, du partage. Juliette Arnaud c'est un style, un récit qui digresse, mais qui parvient malgré sa simplicité et son joli bordélisme, à te marquer, à te convaincre, à te toucher. "Maintenant, comme avant" - elle en parlerait mieux que moi - est une parenthèse, un bonbon qui pique au milieu des doux, un pied en dehors de la littérature, une échappée belle.
Alors Juliette, merci, bisou, merci.

Cora dans la spirale de Vincent Message

Je m'égarais sur Facebook et tombai sur un article "top 10 des fringues qu'on n'a pas besoin de laver tous les jours". Sans intérêt. Et puis j'ai lu les commentaires. Erreur. Désormais, je sais que  Thomas Le Motte se lave tous les jours, que Claimi Orz a des enfants et un chien qui salissent ses pantalons, qu'Ellie Noustrois change ses draps chaque week-end et que Gwendoline Vanpeperstraete Parent lance 15 machines par semaine (!!!)... Osef. Thomas, Gwendoline, Claimi, Ellie, si vous voulez à ce point faire part au monde de la teneur en lessive de votre vie, je vous aurais bien conseillé d'écrire un livre sur le sujet. Mais compte tenu de vos talents en conjugaison et orthographe, en fait, non. Laissez donc écrire ceux qui en ont l'art. Comme Vincent Message, par exemple.

Dans son roman "Cora dans la spirale", il dresse avec finesse le portrait du quotidien, de la norme qu'on câline, de la plainte ordinaire. Il raconte une femme victime de la société, d'un "hédonisme empêché", victime d'elle-même, victime des attentes qui pèsent sur ses épaules, d'une spirale infernale, du vertige banal qui prend les gens sages. Il écrit, non pas avec le "je" grossier et égocentré qui inonde les réseaux, mais avec le recul pourtant intime d'un narrateur bienveillant. Il nous plonge dans Cora, nous l'enfile délicatement, avec patience et sans force, comme on habillerait un enfant.

Borrelia, cette "bactérie spiralée" ; Borélia, cette maladie qui tue à petit feu et qu'on appelle aussi travail, boulot, taf, job, emploi, enfer. Et Cora, dans la spirale...


Rien n'est noir de Claire Berest

"Frida peint le détail sur des toiles minuscules et ne cherche rien. Pourtant elle capture le monde entier. Ils ne s'aiment pas parce qu'ils sont peintres. Diego a été séduit par une poupée avec des couilles de caballero, qui peignait sans le savoir une mexicanidad vernaculaire augmentée par son regard unique. Une liberté violente aux couleurs nouvelles. Frida a choisi d'être choisie par l'Ogre. Elle voulait le plus grand, le plus gros, le plus drôle. Toute la montagne. Et maintenant ? Comment s'aime-t-on quand l'autre a cessé d'être impénétrable ?"


Des Astres de Séverine Vidal
Moon Brothers de Sarah Crossan

Deux romans poignants pour les grands ados (et plus), pour ceux qui ont un cœur qui bat très fort au rythme de leurs amours. 

"Hier, je t'ai vue faire des bisous dans la bouche d'un monsieur."